Dispositions environnementales de l’Accord

Les différents protocoles qui constituent l’ossature du traité portant création de la zone de libre-échange continentale africaine sont révélateurs de la place accordée à la protection de l’environnement dans le cadre des échanges commerciaux qui s’y dérouleront. Dans son préambule, l’Accord portant création de la ZLECAf réaffirme « le droit des États de règlementer sur leur territoire les flexibilités dont ils disposent pour poursuivre des objectifs légitimes de politique publique, y compris dans les domaines de la santé publique, de la sécurité, de l’environnement […] ». À l’article 3 sur les objectifs généraux, l’alinéa (e) dispose que la ZLECAf vise à « promouvoir et
réaliser le développement socio-économique inclusif et durable ». L’article 26 sur les exceptions générales du Protocole sur le commerce des marchandises, en son alinéa (b), indique qu’aucune disposition du Protocole ne peut être interprétée comme empêchant l’adoption ou l’application par tout État partie des mesures nécessaires « à la protection de la vie ou de la santé des personnes et des animaux ou la préservation des végétaux ». L’alinéa (g) du même article ajoute que ces dispositions ne peuvent être interprétées comme empêchant l’application de mesures se rapportant « à la conservation des ressources naturelles épuisables ».
Quant au Protocole sur le commerce des services, son préambule reconnaît le droit des États parties de réglementer la fourniture de services sur leur territoire et d’introduire de nouvelles réglementations dans la poursuite des objectifs légitimes de leur politique nationale, y compris « le développement durable dans son ensemble », conjointement à la nécessité de l’exercer « sans compromettre la protection de l’environnement et le développement durable en général ». L’article 3 sur les objectifs précise à l’alinéa (b) que le Protocole vise à « promouvoir le développement durable conformément aux objectifs de développement durable (ODD) ». Aux termes de l’article 7 sur le traitement spécial et différencié, les États accordent une attention particulière à la libéralisation progressive des secteurs des services et des modes de fourniture en vue de promouvoir « un développement économique social et durable ». Enfin, l’article 15 sur les exceptions générales souligne qu’aucune disposition du Protocole ne peut être interprétée comme empêchant
l’application ou l’adoption par les États parties de mesures nécessaires « à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux ».

Regard croisé sur l’Accord portant création de la ZLECAf et d’autres accords de libre-échange

L’ensemble de ces dispositions dénote une volonté du continent africain de faire une place à la protection de l’environnement. Toutefois, l’on pourrait déjà s’interroger sur la manière choisie pour intégrer la protection l’environnement. À la différence d’autres accords qui choisissent de consacrer spécifiquement un chapitre ou une section à la question environnementale, l’Accord portant création de la ZLECAf a opté pour des articles épars dans certains protocoles. Ainsi, en se référant d’abord à son préambule, on constate que l’Accord a fait le choix de laisser la compétence environnementale entre les mains des différents États parties. En effet, il réaffirme leur droit de réglementer sur leur territoire les flexibilités dont ils disposent pour poursuivre des objectifs légitimes, y compris dans les domaines de l’environnement. Par cette approche qui fait naître un principe de subsidiarité, on court le risque d’un nivellement par le bas des politiques environnementales des pays dans un contexte concurrentiel de libre-échange. Chaque État qui voudra faciliter l’implantation des industries sur son territoire abaissera son niveau de réglementation environnementale. Dans un premier temps, ceci pourra produire un effet d’entraînement sur l’ensemble des acteurs du marché, qui voudront s’ajuster à cet abaissement afin de permettre également aux entreprises de s’installer sur leur territoire. Dans un second temps, s’agissant d’une conjoncture de libre-échange, donc de traitement non différencié des produits d’autres États parties, l’État qui aura choisi d’élever son niveau de protection environnementale ne pourra pas s’en prévaloir pour justifier l’interdiction d’importer un produit venu d’un État ayant un niveau plus faible de protection environnementale.
À cet égard, si l’on se penche sur l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA)[8], on relève que son article 1114 sur les mesures environnementales dispose « qu’il n’est pas approprié d’encourager l’investissement en adoucissant les mesures nationales qui se rapportent à la santé, à la sécurité ou à l’environnement. En conséquence, une Partie ne devrait pas renoncer ni déroger, ou offrir de renoncer ou de déroger, à de telles mesures dans le dessein d’encourager l’établissement, l’acquisition, l’expansion ou le maintien sur son territoire d’un investissement effectué par un investisseur. La Partie qui estime qu’une autre Partie a offert un tel encouragement pourra demander la tenue de consultations, et les deux Parties se consulteront en vue d’éviter qu’un tel encouragement ne soit donné ». Cet Accord a donc fait le choix de niveler par le haut la protection de l’environnement.

La question de la protection de l’environnement est abordée de façon assez timide dans l’Accord créant la ZLECAf. Dans ses objectifs généraux, l’Accord fait référence à la réalisation d’un développement socio-économique durable. Malheureusement, cet objectif reste encore très général. L’article 26 sur les exceptions générales laisse envisager une volonté d’encourager les États parties à se saisir de la question environnementale. Toutefois, plutôt que d’en faire un principe, l’Accord qui, rappelons-le, n’est pas le seul à adopter cette démarche, a choisi d’en faire une exception générale. La question de la pertinence de cette méthode peut être soulevée en ce qu’elle choisit l’incitation plutôt que la contrainte. Les préambules des différents protocoles réaffirment le droit dont disposent les États de règlementer la flexibilité sur les politiques publiques, dont celle de l’environnement. Si cette méthode incitative est concevable, la question reste entière si des mesures d’encouragement ne l’accompagnent pas. L’article 1114 de l’ALENA donne à la partie qui se considère lésée le droit de demander une consultation si elle estime que l’autre partie a abaissé son niveau de réglementation environnementale dans le but de faciliter l’implantation d’entreprises.
Cette possibilité n’est pas évoquée dans l’Accord sur la ZLECAf, où la prise en compte de l’environnement semble très relative. L’Afrique ne peut pas se permettre une telle approche. Le continent africain est celui qui subit avec le plus d’acuité les effets du réchauffement climatique alors qu’il est celui qui pollue le moins. La question environnementale devrait même lui permettre de démarquer son économie de la dynamique globale pour en faire une niche de compétitivité.

[8] Secrétariat de l’ALENA, Accord de libre-échange nord-américain, 1994.
[9] Union africaine, Convention africaine sur la conservation de la nature et des ressources naturelles, 2003.
[10] D. Essapo, « Cameroun : quelle stratégie éco-durable pour réhabiliter et restaurer l’ancienne mine de Mayo-Darlé ? », Médiaterre,
2018.
[11] M. Ekedi, cité par D. Essapo, ibid.
[12] https://www.comifac.org.

Franck Lévy Moussavou pour la revue RADE sous encadrement de Organisation internationale de la francophonie

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